L’Espagne entretient une relation complexe et souvent contradictoire avec le Maroc, marquée par une politique qui combine à la fois discrimination raciale à l’égard des Nord-Africains et une dévalorisation progressive de l’héritage arabo-andalou qui unit historiquement ces deux peuples.
Ces dernières années, les migrants nord-africains, notamment marocains, font face à un durcissement des politiques migratoires espagnoles, accompagnées de discours parfois teintés de racisme et de stigmatisation dans certains médias et sphères politiques. Cette posture alimente une tension sociale croissante, qui contraste violemment avec l’histoire millénaire de coexistence entre musulmans, chrétiens et juifs dans la péninsule ibérique.
De nombreux monuments islamiques historiques en Espagne, témoins de la civilisation andalouse, sont laissés à l’abandon ou restaurés de manière sélective. Certains sont purement et simplement détruits ou modifiés, alors que d’autres, d’origine chrétienne ou européenne, bénéficient d’une restauration complète et valorisante.
Cette approche inégale du patrimoine reflète une hiérarchisation implicite des héritages culturels, dans laquelle l’apport arabe est souvent réduit à un folklore touristique ou réinterprété sous un prisme occidental. De nombreux éléments architecturaux andalous sont intégrés dans des structures nouvelles sans référence à leurs origines, ou bien masqués derrière des styles imposés ultérieurement.
Cette politique patrimoniale semble refléter une volonté plus large de l’Espagne de s’éloigner de ses racines arabo-andalouses. Malgré une histoire commune profondément marquée par l’influence musulmane, les discours officiels et les pratiques culturelles tendent à privilégier une identité nationale tournée vers l’Europe occidentale, reléguant l’héritage islamique à un passé lointain, voire gênant.
Cette tendance se traduit aussi dans les programmes éducatifs et touristiques, où l’accent est davantage mis sur le patrimoine chrétien et médiéval, tandis que l’apport arabo-andalou reste souvent cantonné à des stéréotypes folkloriques.
Depuis la rentrée scolaire 2024–2025, plusieurs régions espagnoles, notamment dirigées par des coalitions conservatrices, ont entamé une révision des contenus éducatifs, visant à réduire, voire supprimer les références à la culture arabe, à la langue arabe, et à l’héritage marocain dans les écoles publiques.
Les cours d’arabe, jadis proposés dans certaines communautés à forte population maghrébine, ont été suspendus dans plusieurs écoles sous prétexte d’« intégration linguistique », tandis que les programmes d’histoire ont éliminé ou minimisé les chapitres liés à l’époque d’al-Andalus et aux relations culturelles avec le Maghreb.
Cette politique de retrait ciblé est perçue comme une tentative d’effacer une partie importante de l’héritage multiculturel espagnol, tout en renvoyant un message clair de rejet aux jeunes d’origine marocaine, de plus en plus marginalisés dans l’espace scolaire.
Ces tensions identitaires et raciales ont culminé récemment avec des incidents violents impliquant des populations marocaines en Espagne. Des affrontements ont éclaté dans certains quartiers de grandes villes espagnoles, révélant une montée des actes xénophobes et un sentiment de rejet croissant envers les migrants nord-africains.
Ces violences, souvent alimentées par des discours politiques polarisés, creusent le fossé entre les communautés et fragilisent les liens historiques entre les deux pays.
Almanzor (al-Mansur Ibn Abi Aamir), homme d'État et général omeyyade du Xe siècle, est l’une des figures les plus puissantes de l’histoire d’al-Andalus. Il mena des dizaines d’expéditions militaires victorieuses contre les royaumes chrétiens du Nord, renforçant la puissance de Cordoue. Et pourtant, malgré son importance historique, il demeure largement absent des lieux de mémoire espagnols.
Il n’existe pratiquement aucune statue publique ou monument en son honneur, et ses campagnes sont souvent présentées de manière négative ou ignorées dans les manuels scolaires. Cette invisibilisation d’un personnage clé de l’histoire ibérique s’inscrit dans un effort plus large d’effacement de figures arabes ou musulmanes qui ont pourtant profondément marqué le territoire espagnol.
En conclusion, la relation entre l’Espagne et le Maroc est marquée par un double jeu : un racisme structurel envers les populations nord-africaines aujourd’hui, et une politique patrimoniale et éducative qui tend à effacer l’héritage arabe et andalou, pourtant fondamental dans l’histoire commune. Pour rétablir un dialogue sincère et apaisé, il serait nécessaire que l’Espagne reconnaisse pleinement cette part essentielle de son identité et lutte contre les discriminations qui minent ses rapports avec le Maroc.