Il y a des mots qui collent à la langue comme des rumeurs à l’Histoire. “Gaouri” est de ceux-là.Un mot court, souvent lancé du coin de la bouche, entre ironie et agacement. On le croise dans les ruelles d'Alger, les cafés de Casablanca, les blagues de Mustapha El Atrassi, ou encore dans les banlieues parisiennes, murmuré comme un écho d’un passé qu’on n’a pas tout à fait digéré.
Mais que cache ce mot ? Une insulte raciste? Une caricature ? Une mémoire ?
“Gaouri” — ou “gawri”, parfois “gaur” — tire ses origines du mot turc gâvur, qui désignait autrefois le non-musulman, le chrétien, souvent l’ennemi. Le mot traverse les siècles, les frontières et les cicatrices. Il atterrit au Maghreb, colonisé par la France, et se transforme en terme populaire pour désigner le colon français, l’Européen dominateur, le Blanc sûr de lui.
Dans la bouche des opprimés, “gaouri” devient une manière de parler de l’autre… sans le nommer. Une arme légère, verbale, teintée de dérision. Pas toujours méchante, mais jamais neutre.
Comme beaucoup de mots issus de l’Histoire coloniale, “gaouri” est ambigu.
Il peut être drôle, tendre même, utilisé entre amis. Mais il peut aussi être rageur, amer, accusateur et parfois raciste.
Il faut écouter le ton, le contexte, l’intention.
Parce qu’en vérité, ce mot n’insulte pas seulement l’autre : il parle de la memoire d'une région. De notre relation à la France, au pouvoir, à la langue, à la peau, à l’ailleurs.
Faut-il encore dire “gaouri” en 2025 ? Est-ce qu’on a encore besoin de ce mot pour penser notre place dans ce monde postcolonial, mondialisé, instable?
Ou peut-être est-il temps d’inventer un nouveau langage, moins réactif, plus moderne.
Un langage qui ne soit pas hérité de l’occupation, mais du choix.
Un mot qui ne nomme pas l’autre pour s’en défendre, mais soi-même pour se construire.
“Gaouri” n’est peut-être qu’un mot. Mais il transporte une histoire, une ironie, et une blessure — jamais sans poids.